
La préservation des océans constitue l’un des défis majeurs du XXIe siècle. Face à l’exploitation intensive des ressources marines, la pollution croissante et les effets du changement climatique, le droit international s’est progressivement doté d’instruments juridiques visant à protéger ce patrimoine commun. L’équilibre entre souveraineté des États, liberté des mers et conservation des écosystèmes marins s’avère délicat à maintenir. Les mécanismes juridiques actuels tentent d’apporter des réponses cohérentes aux multiples menaces pesant sur les océans, tout en s’adaptant aux avancées scientifiques et aux nouvelles préoccupations environnementales. Cette analyse examine les fondements, l’évolution et les défis contemporains du cadre normatif international relatif à la protection des ressources marines.
Fondements historiques et évolution du droit international de la mer
Le développement du droit international relatif à la protection des ressources marines s’inscrit dans une longue tradition juridique. Initialement dominé par le principe de liberté des mers, formulé par Hugo Grotius au XVIIe siècle, ce corpus juridique a considérablement évolué pour répondre aux préoccupations environnementales contemporaines.
La première moitié du XXe siècle a vu émerger les prémices d’une réglementation internationale avec la Convention pour la réglementation de la chasse à la baleine de 1931, qui constituait une première tentative de gestion commune d’une ressource marine. Toutefois, c’est véritablement après la Seconde Guerre mondiale que le droit international maritime a connu des avancées significatives.
Les Conventions de Genève sur le droit de la mer de 1958 ont marqué une étape décisive en établissant les premières règles relatives à la mer territoriale, au plateau continental et à la haute mer. Ces conventions reconnaissaient déjà l’obligation de protéger les ressources biologiques marines, mais leur portée restait limitée face aux enjeux émergents.
La véritable pierre angulaire du droit international maritime moderne demeure la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982, entrée en vigueur en 1994. Souvent qualifiée de « constitution des océans », cette convention établit un cadre juridique global pour toutes les activités maritimes. Elle instaure différentes zones maritimes avec des régimes juridiques spécifiques :
- La mer territoriale (12 milles marins)
- La zone contiguë (jusqu’à 24 milles marins)
- La zone économique exclusive (ZEE, jusqu’à 200 milles marins)
- Le plateau continental (extension naturelle du territoire terrestre)
- La haute mer (au-delà des juridictions nationales)
La CNUDM contient des dispositions spécifiques concernant la protection du milieu marin dans sa Partie XII. L’article 192 établit l’obligation générale pour les États de « protéger et préserver le milieu marin », tandis que l’article 194 les oblige à prendre des mesures pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine.
Parallèlement à cette évolution normative, la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain de Stockholm en 1972 a contribué à l’émergence du droit international de l’environnement, influençant considérablement l’approche juridique de la protection marine. La Déclaration de Rio de 1992 et l’Agenda 21 ont renforcé cette dynamique en intégrant des principes fondamentaux comme la précaution, la prévention et le développement durable.
Cette évolution historique témoigne d’une prise de conscience progressive de la nécessité de protéger les ressources marines au-delà des intérêts économiques immédiats. Le cadre juridique s’est progressivement enrichi, passant d’une approche centrée sur la souveraineté des États à une vision plus intégrée reconnaissant la valeur intrinsèque des écosystèmes marins et leur caractère de patrimoine commun de l’humanité.
Régimes de protection des espèces marines menacées
La protection des espèces marines menacées constitue un aspect fondamental du droit international de l’environnement marin. Plusieurs instruments juridiques ont été développés pour faire face au déclin alarmant de nombreuses populations d’animaux marins.
La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), adoptée en 1973, joue un rôle majeur dans la régulation du commerce international des espèces marines vulnérables. Elle classe les espèces dans trois annexes selon leur degré de protection nécessaire. De nombreuses espèces marines comme certains requins, raies manta, hippocampes et coraux figurent dans ces annexes. La CITES a permis d’instaurer un système de permis et certificats qui conditionne le commerce international de ces espèces à leur utilisation durable.
La Convention sur la conservation des espèces migratrices (CMS) de 1979 vise spécifiquement la protection des espèces migratrices dont les déplacements traversent régulièrement les frontières nationales. Cette convention reconnaît l’importance de la coopération internationale pour la protection d’espèces marines comme les cétacés, les tortues marines et certains requins migrateurs. Des accords régionaux ont été conclus sous son égide, comme l’Accord sur la conservation des cétacés de la mer Noire, de la Méditerranée et de la zone Atlantique adjacente (ACCOBAMS).
Le Mémorandum d’entente sur la conservation des requins migrateurs constitue un autre exemple d’instrument juridique non contraignant visant à améliorer la conservation des espèces de requins migratrices. Il encourage la coopération internationale et l’adoption de mesures coordonnées pour protéger ces prédateurs marins essentiels aux écosystèmes océaniques.
Protection des mammifères marins
La Commission baleinière internationale (CBI), établie en vertu de la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine de 1946, représente l’un des plus anciens mécanismes internationaux de protection des espèces marines. En 1986, la CBI a institué un moratoire sur la chasse commerciale à la baleine, qui reste en vigueur malgré les controverses et les exceptions accordées pour la chasse aborigène de subsistance ou les prélèvements à des fins scientifiques.
Ce moratoire constitue un succès relatif du droit international, ayant permis à certaines populations de baleines de se reconstituer partiellement. Toutefois, des pays comme le Japon, l’Islande et la Norvège ont continué leurs activités baleinières en invoquant des réserves ou des exceptions prévues par la convention, illustrant les limites de l’application effective des normes internationales.
D’autres mammifères marins bénéficient de protections spécifiques à travers des accords régionaux ou des législations nationales inspirées par les standards internationaux. L’Accord sur la conservation des petits cétacés de la mer Baltique, du nord-est de l’Atlantique et des mers d’Irlande et du Nord (ASCOBANS) illustre cette approche régionale centrée sur des espèces particulières.
- Interdiction de capture directe
- Création de zones marines protégées
- Régulation des méthodes de pêche pour réduire les captures accidentelles
- Limitation de la pollution sonore sous-marine
Malgré ces avancées, l’efficacité des régimes de protection reste inégale. Les défis majeurs incluent l’application effective des mesures adoptées, la coopération entre États aux intérêts divergents, et l’adaptation des cadres juridiques aux nouvelles menaces identifiées par la science. La protection juridique des espèces marines menacées illustre la tension permanente entre souveraineté nationale et nécessité d’une gouvernance globale des océans.
Lutte contre la pêche illicite et gestion durable des stocks halieutiques
La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) constitue l’une des menaces les plus graves pour les écosystèmes marins et la durabilité des ressources halieutiques mondiales. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), cette pratique représente jusqu’à 26 millions de tonnes de poissons prélevés annuellement, soit près d’un cinquième des captures mondiales légales.
Le cadre juridique international de lutte contre la pêche INN s’est considérablement renforcé au cours des dernières décennies. L’Accord aux fins de l’application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons de 1995 (Accord sur les stocks de poissons) constitue un instrument majeur. Il renforce les obligations des États du pavillon et établit des mécanismes de coopération internationale pour la gestion des stocks chevauchants et grands migrateurs.
L’Accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port (PSMA) de 2009, entré en vigueur en 2016, représente une avancée significative. Premier traité international contraignant spécifiquement dirigé contre la pêche INN, il vise à empêcher les navires pratiquant la pêche illégale d’utiliser les ports pour débarquer leurs captures. Le PSMA établit des normes minimales que les pays doivent appliquer lors de l’inspection des navires de pêche étrangers cherchant à entrer dans leurs ports.
Les Organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) jouent un rôle fondamental dans la mise en œuvre de ces instruments internationaux. Ces organismes intergouvernementaux, comme la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) ou la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR), adoptent des mesures de conservation et de gestion juridiquement contraignantes pour leurs membres.
Mécanismes de contrôle et de surveillance
Pour être efficace, la lutte contre la pêche INN nécessite des mécanismes de contrôle et de surveillance robustes. Plusieurs innovations juridiques et techniques ont été développées :
- Les systèmes de surveillance des navires par satellite (VMS) permettent le suivi en temps réel des déplacements des navires de pêche
- Les systèmes de documentation des captures visent à garantir la traçabilité des produits de la pêche tout au long de la chaîne d’approvisionnement
- Les listes de navires autorisés et de navires INN facilitent l’identification des opérateurs légitimes et des contrevenants
- Les programmes d’observateurs embarqués sur les navires de pêche assurent une vérification indépendante des activités
La certification des pêcheries durables par des organismes comme le Marine Stewardship Council (MSC) constitue un mécanisme complémentaire, basé sur des incitations économiques plutôt que sur la contrainte juridique directe. Ces systèmes de certification volontaire peuvent influencer les pratiques de pêche en répondant à la demande croissante des consommateurs pour des produits issus de pêcheries responsables.
Malgré ces avancées, des obstacles significatifs persistent dans la lutte contre la pêche INN. Les pavillons de complaisance permettent aux opérateurs peu scrupuleux d’échapper aux contrôles en enregistrant leurs navires dans des pays aux réglementations laxistes. La faible capacité de surveillance de nombreux pays en développement, particulièrement en Afrique et en Asie du Sud-Est, crée des zones de vulnérabilité exploitées par les flottes industrielles étrangères.
Le principe de rendement maximal durable (RMD), longtemps considéré comme l’objectif de gestion standard, fait l’objet de critiques croissantes pour son approche mono-spécifique qui néglige les interactions écosystémiques. Les approches plus holistiques, comme la gestion écosystémique des pêches, gagnent en reconnaissance juridique mais leur mise en œuvre pratique reste complexe.
L’évolution du droit international des pêches témoigne d’une tension permanente entre l’exploitation économique des ressources marines et leur conservation à long terme. Les progrès réalisés dans ce domaine illustrent la capacité du droit international à s’adapter aux défis environnementaux, tout en soulignant ses limites face aux intérêts économiques et géopolitiques divergents.
Protection des écosystèmes marins vulnérables et aires marines protégées
La création d’aires marines protégées (AMP) représente l’un des outils juridiques les plus efficaces pour la conservation des écosystèmes marins vulnérables. Ces zones désignées bénéficient de mesures de protection renforcées qui limitent ou interdisent certaines activités humaines potentiellement nuisibles.
Le fondement juridique international des AMP repose sur plusieurs instruments. L’article 194(5) de la CNUDM mentionne explicitement la nécessité de protéger les « écosystèmes rares ou délicats » et les habitats d’espèces menacées. Cette disposition constitue la base juridique générale pour l’établissement d’aires protégées en mer.
La Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992 a considérablement renforcé ce cadre. Lors de la 10e Conférence des Parties à Nagoya en 2010, les Objectifs d’Aichi ont fixé comme but de protéger au moins 10% des zones marines et côtières d’ici 2020. Bien que cet objectif n’ait pas été atteint globalement, il a stimulé la création de nombreuses AMP à travers le monde. Plus récemment, le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal adopté en 2022 a rehaussé cette ambition à 30% des océans d’ici 2030, communément appelé l’objectif « 30×30 ».
Les écosystèmes marins particulièrement vulnérables bénéficient de protections spécifiques. Les récifs coralliens, qui abritent près d’un quart de la biodiversité marine mondiale tout en ne couvrant que 0,2% de la surface des océans, font l’objet d’initiatives comme l’Initiative internationale pour les récifs coralliens (ICRI) et le Réseau mondial de surveillance des récifs coralliens (GCRMN).
Désignation d’aires marines protégées en haute mer
La protection des zones situées au-delà des juridictions nationales (ZAJN) représente un défi juridique particulier. En l’absence de souveraineté étatique directe, la création d’AMP en haute mer nécessite des mécanismes de coopération internationale innovants.
L’adoption historique du Traité sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ) en mars 2023 marque une avancée majeure. Ce nouvel instrument juridiquement contraignant, fruit de près de deux décennies de négociations, établit un cadre pour la création d’AMP en haute mer et prévoit des mécanismes de gouvernance collective de ces espaces protégés.
Avant ce traité, quelques AMP avaient déjà été créées en haute mer grâce à des instruments régionaux. La Commission OSPAR pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est a ainsi désigné plusieurs AMP dans les zones au-delà des juridictions nationales. La CCAMLR a établi en 2016 l’aire marine protégée de la mer de Ross en Antarctique, couvrant 1,55 million de km², ce qui en fait la plus grande AMP au monde.
Les Zones marines d’importance écologique ou biologique (ZIEB), identifiées dans le cadre de la CDB, constituent un autre outil de reconnaissance internationale des écosystèmes marins vulnérables. Bien que cette désignation n’entraîne pas automatiquement des mesures de protection juridiquement contraignantes, elle oriente l’attention de la communauté internationale vers des zones prioritaires pour la conservation.
- Unicité ou rareté
- Importance particulière pour les stades du cycle de vie des espèces
- Importance pour les espèces et habitats menacés
- Vulnérabilité, fragilité, sensibilité ou récupération lente
- Productivité biologique
- Diversité biologique
- Caractère naturel
Malgré ces avancées normatives, l’efficacité des AMP dépend largement de leur mise en œuvre concrète. De nombreuses aires marines sont qualifiées de « parcs de papier » en raison du décalage entre leur statut juridique et les moyens effectifs déployés pour leur protection. Les défis majeurs incluent le financement durable des activités de surveillance, l’implication des communautés locales dans la gestion, et la coordination entre les différentes autorités compétentes.
L’évolution du droit international vers une protection plus systématique des écosystèmes marins vulnérables témoigne d’une reconnaissance croissante de la valeur intrinsèque de ces milieux, au-delà de leur exploitation économique immédiate. Cette tendance s’inscrit dans un mouvement plus large de juridicisation des préoccupations environnementales, où le droit devient un instrument privilégié pour traduire les connaissances scientifiques en normes contraignantes.
Défis émergents et perspectives d’avenir pour la gouvernance des océans
Le cadre juridique international de protection des ressources marines fait face à des défis considérables, tant en raison de menaces émergentes que de lacunes persistantes dans les régimes existants. L’évolution rapide des conditions environnementales et des capacités technologiques nécessite une adaptation continue des instruments juridiques.
Le changement climatique constitue sans doute la menace la plus systémique pour les écosystèmes marins. L’acidification des océans, résultant de l’absorption accrue de dioxyde de carbone atmosphérique, menace particulièrement les organismes calcifiants comme les coraux et de nombreux mollusques. Le réchauffement des eaux provoque des migrations d’espèces vers les pôles et perturbe les cycles biologiques établis.
Face à ces phénomènes, l’Accord de Paris sur le climat de 2015 reconnaît explicitement l’importance des océans comme régulateurs du climat, mais les mécanismes spécifiques de protection marine restent limités dans ce cadre. L’intégration plus poussée entre les régimes juridiques du climat et de la biodiversité marine représente un enjeu majeur pour l’avenir.
La pollution plastique des océans a émergé comme une préoccupation mondiale majeure. On estime que plus de 8 millions de tonnes de plastique pénètrent dans les océans chaque année. Les négociations en cours pour un traité mondial juridiquement contraignant sur la pollution plastique, lancées par l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement en 2022, visent à combler une lacune importante du droit international. Ce futur instrument pourrait établir des obligations concernant la production, l’utilisation et l’élimination des plastiques à l’échelle mondiale.
Exploitation des ressources génétiques marines
L’exploitation des ressources génétiques marines (RGM), notamment dans les zones au-delà des juridictions nationales, soulève des questions juridiques complexes. Ces ressources présentent un potentiel considérable pour les industries pharmaceutique, cosmétique et biotechnologique.
Le récent Traité BBNJ établit un cadre pour le partage des avantages découlant de l’utilisation de ces ressources selon le principe du patrimoine commun de l’humanité. Ce mécanisme vise à concilier la liberté de recherche scientifique avec une répartition équitable des bénéfices, particulièrement en faveur des pays en développement qui ne disposent pas des capacités technologiques pour exploiter directement ces ressources.
L’exploitation minière des fonds marins représente un autre défi émergent. L’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), établie par la CNUDM, travaille actuellement à l’élaboration d’un code minier pour réglementer cette activité dans la Zone internationale des fonds marins. La tension entre le principe de patrimoine commun de l’humanité et les intérêts économiques des États et entreprises minières soulève des questions fondamentales sur le modèle de gouvernance à adopter.
Un nombre croissant de scientifiques et d’États appellent à un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins jusqu’à ce que les connaissances scientifiques sur ces écosystèmes profonds et les impacts potentiels de leur exploitation soient suffisantes pour garantir une protection adéquate. Cette approche illustre l’application du principe de précaution dans un domaine où les incertitudes scientifiques demeurent considérables.
- Amélioration de la coordination entre les différents régimes juridiques sectoriels
- Renforcement des mécanismes de contrôle et de responsabilité
- Développement des capacités scientifiques et techniques des pays en développement
- Intégration des connaissances traditionnelles des communautés côtières
- Innovation dans les mécanismes de financement de la conservation marine
L’avenir de la gouvernance des océans dépendra largement de la capacité à développer des approches plus intégrées et adaptatives. Le concept de planification spatiale marine gagne en reconnaissance comme outil permettant de concilier les différents usages de l’espace marin tout en préservant les écosystèmes.
La Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) offre une opportunité de renforcer l’interface entre science et politique dans ce domaine. L’amélioration des connaissances scientifiques sur les écosystèmes marins constitue un prérequis pour l’élaboration de normes juridiques adaptées aux réalités écologiques.
Le développement du droit international de protection des ressources marines reflète une prise de conscience progressive des limites planétaires et de l’interdépendance fondamentale entre santé des océans et bien-être humain. L’évolution vers une approche plus holistique et préventive, reconnaissant la valeur intrinsèque des écosystèmes marins au-delà de leur utilité immédiate pour l’humanité, marque un tournant significatif dans notre relation juridique aux océans.
Vers une justice océanique pour les générations futures
La notion de justice intergénérationnelle s’impose progressivement comme un principe directeur dans l’élaboration du droit international de protection des ressources marines. Cette approche reconnaît notre responsabilité collective envers les générations futures concernant la préservation des océans et de leurs ressources.
Le concept trouve ses racines juridiques dans plusieurs textes fondamentaux du droit international de l’environnement. La Déclaration de Stockholm de 1972 affirme déjà le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement « pour les générations présentes et futures ». Cette dimension temporelle étendue de la responsabilité environnementale a été réaffirmée dans de nombreux instruments ultérieurs.
La Commission mondiale sur l’environnement et le développement, dans son rapport « Notre avenir à tous » de 1987, a popularisé la définition du développement durable comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Cette définition place explicitement l’équité intergénérationnelle au cœur du concept de durabilité.
Appliquée aux ressources marines, cette notion implique de maintenir la capacité des océans à fournir leurs services écosystémiques essentiels sur le long terme. Elle exige d’adopter une vision qui dépasse les cycles politiques et économiques courts pour considérer les échelles de temps écologiques, souvent beaucoup plus longues.
Innovations juridiques pour la protection à long terme
Des innovations juridiques émergent pour traduire concrètement cette préoccupation intergénérationnelle. Le concept de droits de la nature, déjà reconnu dans certaines juridictions nationales comme l’Équateur ou la Nouvelle-Zélande, commence à influencer les débats internationaux. En reconnaissant les écosystèmes marins comme sujets de droit plutôt que comme simples objets de réglementation, cette approche pourrait renforcer leur protection juridique.
La reconnaissance par certains tribunaux du devoir fiduciaire des États envers l’environnement constitue une autre piste prometteuse. Dans cette conception, les gouvernements agissent comme fiduciaires des ressources naturelles, y compris marines, au bénéfice des générations présentes et futures. Cette doctrine a été invoquée dans plusieurs affaires climatiques récentes et pourrait s’étendre à la protection des océans.
L’émergence de la notion de crime d’écocide dans les débats juridiques internationaux représente une évolution potentiellement significative. L’inclusion des dommages graves aux écosystèmes marins dans la définition de ce crime pourrait renforcer considérablement les mécanismes de responsabilité pour les atteintes les plus graves aux milieux marins.
Le développement de fonds fiduciaires pour la conservation marine constitue un mécanisme financier innovant pour assurer la pérennité des efforts de protection. Ces structures permettent de sanctuariser des ressources financières pour des objectifs de conservation à long terme, indépendamment des fluctuations budgétaires et des priorités politiques changeantes.
- Établissement d’objectifs de conservation à long terme juridiquement contraignants
- Création d’institutions indépendantes chargées de représenter les intérêts des générations futures
- Développement d’indicateurs de santé des océans pour mesurer les progrès vers la durabilité
- Renforcement de l’éducation environnementale et de la sensibilisation aux enjeux marins
- Implication des jeunes générations dans les processus décisionnels
La mise en œuvre effective de ces principes de justice intergénérationnelle se heurte toutefois à des obstacles considérables. La fragmentation institutionnelle de la gouvernance des océans complique l’adoption d’une vision cohérente à long terme. La prévalence des intérêts économiques à court terme dans de nombreux processus décisionnels nationaux et internationaux constitue un autre frein majeur.
L’Objectif de développement durable 14 des Nations Unies (« Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines ») offre un cadre global pour orienter les efforts internationaux vers une gestion plus équitable et durable des ressources marines. Sa mise en œuvre nécessite toutefois une volonté politique forte et des mécanismes de responsabilisation efficaces.
La dimension éthique de notre relation aux océans gagne en reconnaissance dans les forums internationaux. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) intègrent désormais explicitement des considérations d’équité et de justice dans leurs évaluations scientifiques des écosystèmes marins.
L’avenir du droit international de protection des ressources marines dépendra largement de notre capacité collective à transcender les intérêts immédiats pour embrasser une vision véritablement intergénérationnelle. La préservation des océans pour les générations futures n’est pas seulement une obligation morale, mais devient progressivement une nécessité juridique reconnue par un nombre croissant d’instruments et de décisions.